13/10/14 : Tom Lanoye, Troisièmes Noces, traduction du néerlandais par Alain van Crugten, éditions de la Différence. Roman
Avec ces Troisièmes Noces de Tom Lanoye, je vous propose un petit tour de l’autre côté de la frontière linguistique.
Tom Lanoye est l’un des auteurs flamands les plus lus et les plus traduits. Il a écrit une cinquantaine d’œuvres, romans, poésies, chroniques, scénarios, pièces de théâtre, dont neuf seulement sont accessibles en français. Tom Lanoye vit entre Anvers et Le Cap (Afrique du Sud). Bart De Wever n’est pas son ami, et il se plaît à dénoncer les barrières culturelles entre francophones et néerlandophones. Personnellement, j’ai beaucoup apprécié deux de ses œuvres : La Langue de ma mère, un livre drôle et émouvant qui évoque l’histoire de sa maman victime d’un accident cérébral et Sang et Roses, un spectacle grandiose que j’ai vu jouer dans la Cour d’honneur du palais des Papes à Avignon.
Troisièmes Noces est un grand livre. Il nous plonge avec une certaine brutalité dans la vie de Maarten, un homosexuel vieillissant malade et au chômage. Il était jadis chargé de repérages pour le cinéma. Maarten lutte à peine contre la dépression qui l’habite depuis la mort de son compagnon et boucle difficilement ses fins de mois. Alors, lorsqu’un individu douteux vient lui proposer un marché, il hésite bien peu avant de l’accepter. Il s’agit d’épouser une Noire réfugiée en Belgique afin de lui donner accès à notre précieuse nationalité.
Il faut dire que le personnage de Maarten est réellement fascinant, lui qui s’évertue à se présenter sous son plus mauvais jour : raciste, lubrique, laid et j’en passe. Pourtant, nous finissons par nous attacher à lui. Car l’acceptation du marché très lucratif qui lui est proposé va secouer sa vie, lui qui cultive le vide laissé par son amant. Maarten va devoir cohabiter avec une hôtesse envahissante qui s’accapare du lit de l’absent, affronter les fonctionnaires intrusifs et tatillons de la police des Étrangers, se confronter au monde des sans-papiers… Ces épreuves vont le transformer jusqu’à l’ultime don de soi. Car si Maarten parle mal, comme malgré lui, il agit bien.
L’histoire de Troisièmes Noces est captivante. Elle est également servie par une écriture subtile, merveilleusement traduite par Alain van Crugten. Si l’ironie du personnage nous fait souvent ricaner, ses métaphores poétiques nous emportent. Maarten ne montre de lui-même que le laid, mais toute sa vie il a décelé la beauté dans la banalité des décors du quotidien afin de l’offrir au cinéma. Les descriptions de la lumière qui ponctuent le livre sont époustouflantes.
J’ai été frappée également par l’éventail des sentiments auquel nous permet d’accéder Tom Lanoye. Dans La Langue de ma mère, par exemple, son amour du personnage principal, sa maman, suinte de tendresse à toutes les pages. La description des ravages de l’âge est sublimée par une drôlerie optimiste. Ici, nous avons affaire à un héros, vieux et malade, lui aussi, mais qui vit dans le pessimisme, la haine de soi et de son père. L’ironie est reine. Pourtant l’histoire qui nous est contée, même si elle est à la fois drôle et désespérée, nous redonne foi en l’Humanité.
Infos
Passa porta : Quand les écrivains bruxellent / Jeudi 16.10. Passa Porta fête ses 10 ans. Au Beursschouwburg (20 rue Orts), une pléiade d’écrivains belges et internationaux liront leurs textes sur Bruxelles et la Belgique, et vous convieront à la danse. Avec la participation de Pieter De Buysser (BE), Charly Delwart (BE), Fouad Laroui (NL-MA), Chantal Maillard (ES), Patrick McGuinness (GB) et Tommy Wieringa (NL). Présenté par Annelies Beck (VRT) et David Courier (Télé Bruxelles). (www.passaporta.be)
La semaine prochaine nous aborderons deux livres sur le thème miroir d’ici et là-bas. Ici, c’est précisément le titre du livre que publie Christine Van Acker au Dilettante, tandis que Kenan Görgün a fait paraître J’habite un pays fantôme chez Couleur livres.
Ecouter : Melting Pot 131014
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