Muriel Claude & Pierre Mertens, A la proue

16/6/13 : Muriel Claude et Pierre Mertens, A la proue, CFC éditions (La Ville écrite). Beau-livre

C’est un livre tout particulier dont je vous parle aujourd’hui, puisqu’il associe le talent d’un de nos plus grands écrivains, Pierre Mertens, à celui d’une photographe et libraire accomplie, Muriel Claude, qui révèle ici une plume à ce point visuelle qu’elle en devient sensuelle. Par l’image comme par les mots, Muriel Claude nous dévoile la mystérieuse beauté d’une librairie dans laquelle elle a officié, La Proue, jadis située rue des Éperonniers.

A la proue commence par nous envoûter avec 54 photographies de Muriel Claude. Elle les a réalisées alors qu’elle s’apprêtait à quitter la librairie pour un autre travail. Tout semble nous dire cependant qu’elle devra s’arracher à ce lieu, tant il lui est précieux. L’amoncellement de livres qu’elle nous donne à voir suscite le vertige, d’autant qu’il suit la trajectoire d’un escalier en colimaçon, dans une extrême tension vers l’élévation. Les piles, parfois instables, nous montrent la librairie comme un univers à l’équilibre branlant, mais fondateur. Ces clichés semblent prémonitoires de la situation du livre et des libraires aujourd’hui. L’ouvrage tout entier paraît sous-tendu par un objectif inavoué : refondre leur avenir par la beauté. La Proue sert donc d’amorce au propos : le message qui nous est suggéré la dépasse.

A la proue nous livre un échange épistolaire entre Muriel Claude et Pierre Mertens, tout entier tissé d’amour des livres. Des regards s’échangent, une complicité se crée, qui, loin de nous exclure, nous intègrent avec délicatesse dans le cercle choisi des adeptes du livre. Car Pierre vit dans une sorte de bibliothèque élective, dont nous trouvons la photo à la fin de l’ouvrage. Et Muriel a fait des livres son quotidien. Les livres les ont construit et ils les partagent avec nous. L’histoire de leur rencontre se lit comme un roman, ou plutôt s’écoute comme un opéra lyrique.

Car on retrouve dans ce livre, et avec délectation, le style de Pierre Mertens, cette musicalité qui frôle la préciosité et qui n’appartient qu’à lui. En formidable conteur, il parvient, dans une vertigineuse mise en abyme, à transformer une rencontre en vue d’un livre, en livre. Dans cette entreprise, Muriel Claude se révèle une véritable muse contemporaine : elle participe pleinement à l’œuvre qu’elle inspire, assume son rôle d’auteur. Dans la même tension vers le partage, ils nous invitent à un échange à la fois pudique et intime. Celui même que nous pouvons vivre avec notre libraire, ce messager des livres.

On comprendra aisément que l’existence d’un livre tel qu’A la proue n’était possible qu’avec l’intervention d’un éditeur animé de la même flamme… et qui gère aussi une librairie : CFC Éditions se double de la librairie Quartiers latins, celle où officie Muriel Claude, située place des Martyrs. Elles valorisent le patrimoine et la création en Région de Bruxelles-Capitale, mettent en lumière des ouvrages de qualité et proposent de nombreuses activités, rencontres et même des colloques (www.cfc-editions.be).

La semaine prochaine, nous resterons symboliquement avec Pierre Mertens, puisqu’il vient de préfacer le récit de vie de Caroline Alexander, Ciel avec trou noir, paru aux éditions MEO, un livre à la narration dense et subtile et à l’écriture raffinée. Nous parlerons de deux autres ouvrages proposés par Gérard Adam, aux commandes de MEO : celui d’Evelyne Heuffel, Villa Belga, l’histoire de Belges au Brésil, un pays qui nous intéresse beaucoup pour le moment. Et celui d’une autre Evelyne, Evelyne Wilwerth, Miteux et Magnifiques qui a pour cadre le quartier du canal de Bruxelles.

Ecouter : Melting Pot 160614

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