« Monologue des tréfonds », Éditions Banc d’Arguin, 2010
Suite au séisme qui a frappé Haïti en février 2010, vingt-huit auteurs ont été sollicités afin que paraisse un ouvrage. L’intégralité de la vente de ce livre a été versée au profit des actions dans les domaines éducatifs et culturels menées par l’ONG FOKAL de Port au Prince. Les textes ont fait l’objet d’une lecture publique au Botanique, lors d’une journée de solidarité. Evelyne Guzy y a participé.
Ecrivains du monde pour Haïti, avec les contributions de Jan Baetens, Julos Beaucarne, Dominique Berthelot, Chantal Boedts, Jeanine Boissard, Hermine Bokhorst, Alain Coëffard, Huguette de Broqueville, Soline De Laveleye, Alain Delcroix, Jean Gennaro, Dominique Grand, Evelyne Guzy, Corine Hoex, Jean Jauniaux, Yasmina Khadra, Yoka Lié, Jean Louis Lippert, Françoise Lison Leroy, Eduardo Manet, François Nugues, Colette Nys-Mazure, Jean-Luc Outers, Philippe Jones, Patrick Roegiers, Daniel Simon, Jehanne Sosson, Benjamin Spark, Pascal Vrebos, Voltaire.
Le début du « Monologue des tréfonds »
J’ai levé les bras. Juste ça. J’ai touché la paroi autour de moi. Mou infranchissable, malléable. J’ai crié Maman. Vide. Silence. Je ne me souviens pas.
Des mains, j’ai palpé la surface. Où est-elle ? Je cherche son visage. Mes doigts vont-ils la trouver ? J’ai tracé son contour. Terre glaise sous les ongles. J’ai modelé ses joues, puis essuyé les miennes. Et j’ai attendu. Qu’elle ouvre les yeux et qu’elle m’appelle.
J’attends. Depuis combien de temps ? J’attends.
Derrière moi, ça goutte. Toc, toc. Régulièrement. Toc, toc. Rien d’autre. Toc, toc. J’essaye de bouger. Je suis comme enterrée. Un miracle cet espace. Lorsque j’y pense, je commence à étouffer. Il faut que je sorte. Que le ventre de la terre m’expulse et qu’on coupe mon cordon. Trop étroit pour moi.
Je reprends mon travail. Les yeux. Fermés. La bouche. Close. Les cheveux. Ebouriffés. C’est bien elle. Mais pourquoi ce silence alors ? Il faut que je la réveille.
Mes jambes commencent à fourmiller. Les soulever. Impossible. Je suis prise de panique. Je bouge, je me débats. Des mottes de terre tombent sur moi. Me calmer. Faire le mort. A moins que je ne sois déjà partie ?
Impossible. Elle me l’aurait dit. Je tends les bras vers Maman. Sa joue s’est écrasée dans la bataille. La remodeler. Doucement. Maman, reste là. Je vais te la redessiner, ta joue. Pour mieux t’embrasser. Si j’arrive à soulever la tête.
Impossible. A part mes bras, plus rien ne bouge. Et cette migraine, mes tempes qui battent. Où es-tu ? M’as-tu oubliée ? Le monde entier m’a abandonnée. Toc, toc. Toujours l’eau. Mais d’où vient-elle ? J’ai soif.