Bernard Dan, Le garçon du Rwanda & Bonom

Le 10/2/14 : Bernard Dan, Le Garçon du Rwanda, L’Aube. Roman

Bernard Dan est un neuropédiatre réputé. C’est aussi un romancier, qui nous offre ici son deuxième livre. La légende dit qu’il écrit dans les aéroports, entre deux congrès, comme le faisait le héros de son premier ouvrage. Cette première fiction, intitulée Le Livre de Josephnous parlait d’un homme, seul, à la recherche de ses racines dans le ghetto de Varsovie. Il est aujourd’hui édité en poche. Son nouveau roman, Le Garçon du Rwanda, nous parle de racines et de transmission aussi, mais dans le partage. Il sort alors qu’on s’apprête à commémorer le 20e anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda. Ce massacre occasionna la mort de 800 000 à un million de Tutsis et d’opposants Hutus en cent jours.

Contrairement à ce que pourrait nous faire croire le titre, Le Garçon du Rwanda est d’abord l’histoire d’une femme, Esther, qui souffre d’insomnies depuis l’enfance, un peu comme la Princesse au petit pois. Lorsqu’elle se rend à l’hôpital pour la énième fois, elle croise un technicien hypnographiste, chargé d’examiner les courbes de ses rêves. Les yeux de l’homme, la couleur de sa peau, la ramènent à un souvenir d’enfance. Dans une salle d’attente, en 1994, année du génocide des Tutsis, son regard avait rencontré celui d’un garçon au torse paré d’une plaque numérotée. Personne ne connaissait son nom. Lui, ne s’en souvenait pas. Aujourd’hui, il s’appelle Camille, et il parle peu. Avec Esther, une philosophe à la sensibilité aiguisée, il va petit à petit se dévoiler. Il faut dire qu’Esther est une personne très particulière : elle vit dans un monde peuplé de personnages de contes et légendes ainsi que de philosophes qui se présentent à elle chaque fois qu’il s’agit de faire face à une situation. Narquoise, elle rit de tout et en toute circonstance, et nous fait rire aussi, même des situations les plus graves. De son côté, Camille, le garçon du Rwanda, se révèle un formidable conteur. Avec son amie, nuit après nuit, il se met à évoquer le génocide des Tutsis comme si c’était une fable, celle des Mille et une Collines. Et, si les histoires racontées sont épouvantables, leur partage donne accès au bonheur de l’amitié.

Le Garçon du Rwanda de Bernard Dan confirme le talent d’un écrivain qui nous permet d’accéder, avec une certaine légèreté, à des problèmes fondamentaux. Sa réussite est d’abord due à l’originalité et à l’authenticité de ses héros. Bernard Dan parvient à habiter complètement son personnage féminin. Lors d’une rencontre à la librairie La Licorne, il a raconté à quel point la grammaire française est plus difficile à maîtriser pour les filles que pour les garçons. Écrire au féminin lui a demandé une concentration particulière, pensez aux participes passés ! Esther est pleine de ressources. Grâce à l’imagination et à la réflexion, elle sait mettre une distance entre elle et les épreuves qu’elle traverse. L’allusion permanente qu’elle fait à des contes et légendes que nous avons tous lus est très touchante et nous permet de nous impliquer dans son histoire. Ses références à des textes philosophiques sont moins accessibles à tous, mais bon, c’est une philosophe après tout ! Camille, quant à lui, invente des histoires pour exprimer l’horreur vécue par les siens. On pourrait dire que, dans ce livre, l’irréel nous donne accès à l’indicible… Finalement, ce dont nous parle Le Garçon du Rwanda, c’est du rêve et de la nécessité vitale qu’il représente pour chacun d’entre nous. Sous la jolie histoire qu’il présente se dissimule, comme dans une fable, une réflexion plus générale, plus politique, que je laisserai à chacun le soin de tirer seul.

Vous l’avez compris, je vous recommande chaudement de lire un des deux livres de Bernard Dan, Le livre de Joseph ou Le Garçon du Rwanda. Ils sont édités en France, aux éditions de L’Aube, dans le Vaucluse. Cela pourrait paraître exotique, si je ne vous disais que les éditions de L’Aube ont notamment été fondées par Marion Hennebert, une Bruxelloise d’origine et qui est non moins que l’éditrice de Gao Xingjian, cet écrivain chinois qui a emporté le Nobel de littérature en 2000. Voilà donc Bernard Dan entre de bonnes mains. On attend avec impatience son prochain roman.

Pour les prochaines émissions, je vous propose de nous préparer, en quelque sorte, à la Foire du livre de Bruxelles qui aura lieu à Tour et Taxi du 20 au 24 février. J’ai vu qu’une rencontre est prévue entre deux auteurs belges qui font parler d’eux pour le moment. Le thème, alléchant, est celui des « Histoires de famille ». La semaine prochaine, s’il m’arrive à temps, je vous parlerai donc du livre d’Antoine Wauters, Nos Mères, qui vient de sortir chez Verdier. Et la semaine suivante de Max, en apparence de Nathalie Skowronek édité chez Arléa.

Et pour terminer, je ne peux que vous encourager à visiter l’exposition Bonom, le singe boiteux qui a lieu jusqu’au 22 mars à l’ISELP. A cette occasion, est sortie une monographie, éditée par CFC éditions. Bonom, c’est un personnage fictif dans lequel s’incarne l’artiste urbain Vincent Glowinski. Il nous a offert d’inoubliables fresques, aujourd’hui disparues. Le lion au mont des Arts, le squelette de dinosaure au musée des Sciences naturelles, la chute du renard à la cité administrative, l’homme décharné masquant son sexe à porte de Hal, le poulpe aux Marolles, toutes ces marques dans la ville, c’est Bonom. Dans la très belle monographie qui est consacrée à Vincent Glowinski, on peut voir ses dessins préparatoires et des photos de Ian Dykmans qui l’a suivi dans ses périples. On se rend compte aussi des risques qu’il prend. Son travail représente une véritable performance physique et chorégraphique, qui inscrit son mouvement dans l’espace.(Vincent Glowinski et Ian Dykmans, Bonom, le singe boiteux, CFC éditions, Livre d’art.Exposition à l’ISELP, 31 boulevard de Waterloo à 1000 Bruxelles, jusqu’au 22 mars,www.iselp.be.)

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