Dans un pays en guerre, je déambule, l’âme en paix. Ne suis-je pas l’enfant du paradoxe ?
Le taximan m’explique que la journée a été difficile. Jeûne du Ramadan, plus que vingt-huit jours, sourit-il. Oui, dans son pays en guerre, il sourit lui aussi. Comme moi, il vit en paradoxe.
À Tel-Aviv, les hôtels sont pleins. Réfugiés venus du Nord – Hezbollahland – ou du Sud – Hamasland. Ils sont deux cent mille, repartis dans le pays. Hezbollah, Hamas, ce sont nos nouveaux points cardinaux, ironise une Franco-Israélienne. L’ironie, tout l’art du paradoxe.
Oui, l’art, pour exprimer les sentiments mêlés. Le désespoir et l’impuissance face à la catastrophe humanitaire de l’autre côté de la frontière. Qui peut s’y montrer insensible ? Un mélange de rage et d’angoisse face à l’irréparable du 7 octobre. Et si les hordes barbares déferlaient à nouveau sur le pays ? Et les otages, combien encore de vivants ? Et lorsqu’ils reviendront (qui oserait imaginer le contraire ?), dans quel état seront-ils ? Chacun ici connaît un proche, assassiné ou détenu. Chacun tente de chasser les images des sévices qu’elles ont subi, nos sœurs, nos filles.
Sur les murs de la ville, on lit, un peu partout, BRING THEM HOME. Parfois le NOW a disparu. Cinq mois de calvaire.
L’esplanade devant le musée de Tel Aviv a été rebaptisée place des Otages. Une table de shabbat dressée pour les absents, des pierres – telles qu’on les pose sur les tombes juives – dédicacées, un arbre orné de messages aux manquants, la réplique d’un tunnel de Gaza… Plonger au cœur de la douleur pour sublimer ? Des bénévoles et des membres des familles des otages ou des disparus sont là. Ne pas oublier les absents.
L’Art, pour mettre à distance et mieux plonger dans la réalité. Paradoxe encore. L’hôtel Impérial s’est transmuté en lieu d’exposition. Dans chacune des chambres, des artistes s’expriment sur le thème Wonderland. Imagining Utopia. C’est puissamment décalé. C’est puissamment d’actualité. Aujourd’hui, se plonger dans cette arche de Noé et cette terre qui n’est plus sphère mais spirale. Comme une voie vers une décomposition ordonnée. L’exode de la vie ?
Après le déluge, la refondation ? Face à la beauté qui demeure, oser l’espoir. Tenter l’Utopie.
Samedi, je marcherai avec les citoyens israéliens qui disent non à une politique dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Et réclament à corps et à cris le retour des leurs. Ce sont aussi les nôtres, sœurs et frères en humanité.
BRING THEM HOME NOW.
Et que vienne le temps de la reconstruction.
Tel Aviv, 13 mars 2024