Dans le Sang

Bernard Gilson Editeur, 2009

Résumé

Sur fond de terrorisme, Dans le Sang, invite le lecteur à inscrire ses pas dans ceux de David Gozlan, un jeune volontaire qui travaille au sein d’une ONG. David découvre l’Ismalie au milieu du vingt et unième siècle. Dans ce pays divisé, le Nord aspire à la démocratie, tout en subissant une violente vague d’attentats-suicides venue du Sud islamiste. David se penche sur le sort de jeunes kamikazes repentis. Accueilli dans la famille des El Zibah, il fait la connaissance de Omar, le fils engagé corps et âme au sein d’un mouvement radical. Le périple initiatique de David l’amène à sonder ses
propres limites et celles du monde qui l’entoure.

« Voici un écrivain. Dans le sang d’Evelyne Guzy débute avec une vingtaine de lignes titrées tout simplement “Les mouches”, et nous voilà plongés dans un univers carcéral de prison orientale tels que les récits de voyageurs nous le laissent imaginer. Tout est dit, en quelques mots, une description juste, des sensations fortes » (Nicole Widart, Le Carnet et les Instants).

Extraits

Les Mouches

Au plafond, trois mouches se disputent un centimètre d’espace. La tache brune les fascine. Elles virevoltent aux alentours, s’approchent et s’éloignent, se toisent et se narguent. Au-delà, comme un défi à l’exploration, s’étendent trois mètres carrés d’une surface blanche, jusqu’alors inexplorée.

Leurs allers-retours me donnent mal à la tête. Pourquoi se disputent-elles ce lieu minuscule alors que le vaste univers de la pièce s’offre à elles ? Ces mouches ont quelque chose d’humain. Et leur monde se referme sur moi.

Comme Don Quichotte, j’ai atterri, prêt à affronter moutons et moulins à vent. Plus dangereux encore, j’ai rencontré des hommes. Avec aussi peu de cervelle que ces insectes qui m’obsèdent. Exténué et sur les nerfs, voilà comment je me sens ce 15 juillet, jour de mon arrivée en Ismalie.

Autour de moi, tout suinte une crasse indéfinissable. Sol jonché de papiers, mégots et objets non identifiables. Drap grisâtre. Graisse et sécrétions diverses mélangées. Odeur de merde arrosée de pisse. Inutile de m’appesantir sur le décor, j’ai préféré lever les yeux au ciel. Je n’y ai pas trouvé Dieu, mais les mouches. Chacun sa destinée.

Je tente de remettre mes idées en place. Le souvenir du passé récent augmente mon angoisse. « Inimaginable. » Cette situation est tout bonnement inimaginable. C’est le seul mot qui me vient en tête.

Il faut que je dorme.

L’Exil

L’exil est une odeur. Celle des bougainvilliers qui n’en dégagent aucune, en Europe du Nord, tant ils sont artificiels. Celle des oliviers, que personne ici ne penserait à cultiver, même en serre d’apparat. Pourtant quoi de plus doux que leurs petites feuilles moelleuses, quoi de plus ravissant que le gris de leur tronc, que l’équilibre de leur
frondaison. L’exil est une pesanteur. Celle de cette chaleur que l’on recherche partout, tout le temps, et qui là-bas vous protégeait. Celle de cette pluie qui vous tombe sur les épaules, en même temps que le poids du monde et que cette nostalgie, infinie, d’une terre à jamais perdue, presque de sa propre volonté. Remords inextinguible : « Nous aurions dû la garder, pour nos enfants. » Logique imparable : « Mais en restant, nous serions déjà morts. » La vie ou la terre ? Mais qui sommes-nous, peuple sans terre ? Que reste-t-il de notre identité maintenant que nous vivons ici, cachés. Des étrangers pour nos propres enfants, qui traînent inconsciemment cette culpabilité des racines. La culpabilité, notre racine.