Tu es assise à côté de Jeanne, deux ans. Elle, sagement posée sur son petit siège en osier face à une pile de feuilles, un gros crayon en main, gribouille énergiquement, sans même regarder le résultat de ses efforts. Elle te fixe. « Tu veux que je te fasse un dessin ? » Elle opine. Et te voilà en train d’esquisser une voiture. Le contour, d’un seul gros trait. Puis les roues, pneus noirs bien arrondis. Un fard jaune, pour la nuit. Des fenêtres et des portes, pour qu’elle puisse pénétrer dans l’auto.
L’enfant pose un pied sur la table. Tu la regardes avec curiosité. Que veut-elle ? « Jeanne, voiture ! » As-tu bien compris ? La voilà maintenant qui monte sur sa chaise. « Jeanne, voiture ! » Oui, c’est bien ce que tu présentais. « Je vais poser ta voiture à terre, et nous allons grimper dedans. » Vous voilà donc assises toutes les deux sur la feuille de papier. Tu tiens le volant, elle aussi (puisque c’est toi qui a conçu la voiture, rien n’empêche deux volants). « Vroum, vroum… » Mais Jeannette n’est pas encore satisfaite. Il faut reprendre la feuille et essayer de la traverser, afin de s’asseoir sur le siège. Tu tentes une percée vers le fauteuil du salon. Elle n’est pas dupe. Tu t’installes avec elle sous la table de la salle à manger, vous regardez entre les pieds des chaises, comme par la fenêtre. Elle n’est guère plus satisfaite.
Retour vers le dessin. « On va mettre Jeanne dans la voiture. » Tu t’appliques, trop : le résultat n’est pas à la hauteur. « Madame », désigne l’enfant en pointant le profil sensé la représenter. Bon, tu traces sommairement un rond et quelques lignes hirsutes sur un crâne de fortune, surmontant un vague triangle pour le corps. « Jeanne est dans la voiture de la madame », conclus-tu.
A voir son sourire, c’est sûrement vrai.
Evelyne Guzy