Belgiques. Ce qui reste quand on a tout oublié…

.

Recueil de nouvelles, Ker éditions. Parution : octobre 2023

Que reste-t-il quand on a tout oublié ? Les pavés de la mémoire qui racontent un ancien quartier juif ; les fresques Jean Delville qui éclairent d’un jour étrange un procès en cour d’Assises… autant de visages de la mémoire, au coeur des Belgiques d’Evelyne Guzy.

Plus d’informations ici.

« Je ne suis pas le Petit Prince » – Recueil – Festival (Volume 4)

« Je ne suis pas le Petit Prince », éditions Les Oiseaux de nuit, Théâtre, 2022

Le début de « Je se suis pas le Petit Prince »

La salle de classe est propre et bien rangée, ici. 

Chez moi, nous allions à l’école dans un container aménagé, tous les âges mélangés. La maîtresse portait un boubou couleur soleil et ses cheveux aux mille tresses illuminaient la leçon de calcul mental. 

Parfois, je rêvais dans mon coin, en paix, si loin du quotidien, j’oubliais la faim. Mais, le plus souvent, la soif de savoir me tirait de ma torpeur, surtout lors du cours de géographie. Sur la grande carte affichée tant bien que mal aux parois de métal, je m’imaginais, tout petit, et ce vaste monde autour de moi, quelles promesses m’offrait-il ?

Je ne suis pas le Petit Prince, mais, comme lui, je viens d’Ailleurs.

« De quelle planète es-tu, m’aurait-il demandé ?

– Je viens de la planète Lumière. Là où le soleil me caresse toute la journée. Là où la terre, sèche et craquelée, me refuse ses fruits. Là où la guerre échauffe les esprits et tue les corps. Je viens de cette planète chérie, mais j’ai dû la quitter. Et maintenant je suis ici. »

Ici, en classe, avec toi, Maîtresse, qui raconte l’histoire de ce petit blanc bouclé. Il ne me ressemble pas, c’est sûr. Sauf qu’il aime le désert d’Afrique, comme moi. Sauf que, comme moi, il fréquente les serpents et cherche la vérité dans les étoiles. Le Petit Prince, ce n’est pas moi, mais il me parle pourtant, à travers toi. D’un monde de voyage et de tristesse. Celui de ma « petite vie mélancolique ». D’un univers de nostalgie. Celui du manque que je ressens lorsque je pense à Maman et au pays de Lumière. 

Vient de paraître : Marginales 307 – Automne 2022

Balance ton peuple

Evelyne Guzy a contribué à ce numéro consacré au nationalisme et au populisme avec sa nouvelle Au pays de mon corps. Extrait…

AU PAYS DE MON CORPS

Mon corps est plongé dans la baignoire. C’est l’unique moment de répit qui m’est permis. Seule, une fois par mois, quand iels me considèrent comme impure, je peux fermer les yeux et méditer. Je peux sentir mes membres, mon ventre, mon sexe, mes seins. Ils m’appartiennent enfin. Eux qui servent à la jouissance des autres sans qu’ait le temps de surgir la mienne. Je ferme les yeux quand viennent les assauts. Ceux d’un viol sans violence, presque consentant. J’attends que me quittent ces corps étrangers qui pénètrent et usent le mien. Tu le dois à la Nation, m’ont-iels dit. A moi, et à toutes les Rousses du Peuple, un ou deux pour cent de la population, paraît-il, dont le gène MC1R a muté. Nous sommes précieuses, nous sommes des raretés.

Roux. La couleur des cheveux du roi David. Roux. La couleur des cheveux de Judas. Roux, la couleur du stigmate apposé durant des siècles à mon Peuple. Roux, ma couleur, celle des poils de mon sexe hérissés dans l’eau du bain. J’y glisse mes doigts agiles. Le plaisir solitaire, c’est la seule liberté qui me reste. Mais je ne parviens pas à me détendre. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Auparavant, au lendemain de nos règles, nous étions collectivement immergées dans de grandes bassines d’eau délicieusement tiède. Rires et Rousseur, caresses des retrouvailles. Les Peupliotes ont trouvé ça choquant : un bain rituel doit être un moment de recueillement. Et puis, toutes ces paroles échangées ne nous mèneraient-elles pas à la révolte ? Nous étions trop utiles pour être punies ou chassées. Trop précieuses et rares pour être gaspillées. Iels nous considèrent comme l’avenir de la Nation rousse, l’emblème de sa pureté. 

La guerre par les armes est démodée et contreproductive, ont décrété les Peupliotes : quel gaspillage que tous ces gènes utiles à la perpétuation de la race rousse sacrifiés ! La bataille sera génétique, nous saurons nous reconnaître et nous unir une fois l’époque transitoire passée. L’heure rousse adviendra. « Certes, c’est un peu désagréable pour vous, les Rousses, concèdent les Peupliotes, mais une fois la machine de la sélection naturelle lancée et nos recherches sur le gène MC1R abouties, vos descendants continueront le travail. Cet élevage de Roux n’est qu’une mesure provisoire. » Nous sommes la génération sacrifiée, le gynécée vénéré. 

Lire la suite

Magazine Belgica

Roman historique, secrets de fabrication, Chronique de Philippe Raxhon et interview d’Evelyne Guzy, Belgica n°2, mars 2022, PP. 122-126

« Chez Évelyne Guzy, le détail est fin et intelligemment déployé pour illustrer, dans le noble sens du terme, les vagues effrayantes de la grande histoire, cette mer déchaînée qui engloutit les générations et les pousse en avant, les pousse à survivre ou à disparaître. »

« Tout l’art de l’autrice est de tirer une force romanesque de cet inévitable constat historien. Les failles, les ombres, les lacunes de la reconstitution du passé, la poussière sur des archives qui redeviennent elles-mêmes poussière, non seulement consolident le fil narratif, mais alimentent le regard mélancolique de l’auteur, avec une forme de détachement singulier teintée d’ironie désabusée sur ses origines, l’ironie pour ne pas désespérer et rester sensible, à l’écoute de son identité, l’ironie pour ne pas continuer à être broyé par l’histoire génération après génération. C’est le grand mérite de l’autrice d’évoluer avec cette posture et d’en faire son miel. »

Semaine de la langue française et de la francophonie – Mars 22

« Du 12 au 20 mars 2022, Rencontre des Auteurs célèbre la Francophonie avec une série de capsules d’auteurs francophones du bout du monde. Des auteurs (d)étonnants ! Un événement inscrit au programme officiel du Ministère de la Culture français et de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Direction Bruxelles, avec la journaliste et auteure belge Evelyne Guzy. Cette formidable jongleuse de mots raconte dans son dernier ouvrage – sous forme de roman – l’histoire de son grand-père et sa vie romancée dans la Lithuanie du siècle passé. Evelyne nous parle de sa passion de la langue francaise, de l’écriture et de la force de chaque mot employé. »

Ecouter l’interview par Sandrine Mehrez Kukurudz

Foire du livre de Bruxelles

Rencontre : En quête de mémoire et d’identité – 11/05/21

Voir la rencontre.

Dans son roman, Évelyne Guzy enquête sur sa propre famille juive, mettant ses pas dans ceux de sa petite héroïne, Eva, qui entreprend de remonter les traces de ses origines. De son côté, Foulek Ringelheim raconte avec humour l’histoire émouvante d’un petit garçon tourmenté par sa judéité. Sam Touzani, lui, dialogue avec une jeune femme se revendiquant avant tout de sa religion. Tous trois tentent de démêler les fils de la construction de l’identité. Voilà un débat qui promet de mêler la rigueur de la réflexion à l’émotion du vécu et appelera, comme le dit Ghislain Cotton, « à la fraternité et à l’équivalence des humains ».

Participants

Evelyne Guzy, Sam Touzani et Julie Ringelheim, fille de Foulek Ringelheim 

Organisateur

M.E.O. Editions, Renaissance du Livre et Genèse Edition

Modérateur 

Françoise Nice

Dédicaces

Librairie Filigranes : 11/05/21 de 18 h à 20 h. Lecture d’un extrait par l’actrice Aurélie Vauthrin-Ledent.

Librairie Bleus d’encre : 15/05/21 de 16 h à 18 h.

Ghislain Cotton, Le Carnet et les Instants

Article paru le 26/2/21

Devoir de mémoire

Évelyne GUZY, La malédiction des mots, M.E.O., 2021, 236 p., 18 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 9782807002616

guzy la malediction des mots

Pour Évelyne Guzy, baptiser « roman » une enquête sur sa propre famille juive, c’est aussi un devoir d’honnêteté et la façon de donner à la journaliste et chroniqueuse la liberté de fondre, à 60 ans, la réalité d’Évelyne dans ses propres pas : ceux de la petite Eva, au fil d’une recherche marquée par la rigueur et par un acharnement courant sur de nombreuses années. Au départ : il y aurait une lettre posthume du grand-père Icek, imprégnée formellement de culture yiddish et qui précise : « Bien sûr, je me doute bien qu’à la première relecture, tu revisiteras mes mots pour les remplacer par les tiens ; c’est ta manie, ton métier. Je vais m’en accommoder ».

Icek lui-même dit se considérer comme un « homme terne » et dont la seule particularité est d’avoir existé. Ce qui n’empêche pas ce natif de Czestochova (ville du culte polonais à la Vierge Noire, célébré par Jean-Paul II) d’avoir vécu dans son pays les brimades incessantes et jusqu’aux persécutions les plus odieuses du pouvoir à l’encontre de la population juive. Assez pour qu’il finisse par s’exiler en Belgique avec sa compagne Golda, à Charleroi précisément  où après avoir tâté de plusieurs emplois, dont celui de mineur, Icek ouvrira un commerce de « shmates » (en l’occurrence des casquettes, la spécialité familiale). C’est là que, plus tard, la jeune Eva, leur petite-fille, rendra visite à ses grands parents et à son père Grégoire. Mais avant cela, il y a la guerre et la fuite du couple polonais réfugié dans une ferme de la campagne belge après s’être heureusement dérobé à l’ordre de transfert à la caserne Dossin de sinistre mémoire. Quant à Grégoire, en âge d’école, il sera recueilli à Momignies par les trappistes de l’abbaye de Scourmont réquisitionnée par l’occupant. Il sortira de la guerre sain et sauf et deviendra pour Eva-Evelyne (née en 1960) ce père narcissique et peu affectueux qui lui léguera avant de mourir une vidéo où il parle de lui-même mais peu éclairante sur la personnalité d’Icek. C’est pas hasard qu’en 2013, lors d’un débat public autour de Monsieur Optimiste, le livre d’Alain Berenboom, l’autrice apprendra d’un inconnu que son grand-père paternel aurait été en réalité un membre actif d’une cellule de Juifs communistes. (« Eva n’a pas insisté. Elle est rentrée chez elle normalement. Sa vie avait basculé »). Et plus que jamais l’avait animée une volonté d’enquêter tous azimuts mais sans réussite absolue sur la véritable personnalité de ses ascendants. Il faudra donc que la  romancière «bouche les trous » et s’en rapporte aux flous laissés par l’Histoire.

En ce qui concerne la lignée maternelle d’Eva, un doute aussi flotte sur la personnalité de David Katz, l’autre grand-père. S’il fut à coup sûr un résistant actif – d’ailleurs auréolé de gloire après la guerre – œuvrant au sein d’une association de Juifs sionistes (farouchement opposés aux Juifs communistes férus d’universalisme comme l’était Icek que David méprisait), il se serait attribué, en plus de la conception, une participation physique à un épisode fameux de la guerre. Celui de l’arrêt en Brabant flamand du XXe convoi de déportés parti de Dossin pour Auschwitz en 1944 et qui permit à de nombreux Juifs de s’échapper et de survivre. Présence sur le terrain que l’historien Maxime Sternberg a violemment contestée jusqu’à l’issue d’une longue polémique qui eut surtout pour effet de mettre en relief le rôle des trois principaux protagonistes putatifs où ne figure plus le nom de David Katz, lequel fut certes un grand résistant, d’ailleurs très éprouvé physiquement par son action et qui n’a pas volé les honneurs qui lui ont été rendus après la guerre. Il devait toutefois convenir lui-même que certains d’entre eux avaient tendance à se mettre quelque peu en avant. Quoi qu’il en soit, il aura largement contribué à la réalité professée plus tard par Eva et sa fille Jeanne (lors d’une commémoration au Tir National), à l’encontre de certains propos dénigrants sur le comportement des Juifs pendant la guerre : « Nous ne sommes pas des moutons qu’on mène à l’abattoir. Nous sommes un peuple de mémoire ».

Un livre écrit à cœur ouvert, à l’enseigne de la fidélité et de la transmission… Et confronté à cette double « malédiction des mots » : la fatale inadéquation au vécu, mais aussi les affres et parfois les désappointements de son dévoilement par une recherche honnête et impartiale. C’est aussi, par delà les prétendues races et le marché des religions, un appel à la fraternité et à l’équivalence des humains.

Ghislain Cotton

La Malédiction des Mots, roman

Parution le 15/2/21

PRESENTATION DE L’EDITEUR

Et si le silence se révélait un cadeau ? C’est la question que se pose Eva lorsqu’elle entame une enquête sur la vie de ceux qui ne sont plus là pour parler.

Icek, le survivant. Terne et laid, le grand-père paternel d’Eva semblait sans histoire. Un immigré juif venu de Pologne dans les années 30, comme bien d’autres. Jusqu’au jour où Eva pense découvrir son passé communiste. Qui était vraiment Icek ?

Groïnim, l’enfant d’Icek, le père d’Eva. Peu avant de mourir, il lui a légué une vidéo qui témoigne de son passé de guerre. Mais, à l’analyse, tout ne colle pas… Où se situe la vérité alors que l’enfance cachée de Groïnim lui a appris la dissimulation?

Doniek, le résistant, grand-père maternel d’Eva. Figure importante de la lutte armée belge, dirigeant sioniste respecté et fervent anticommuniste, Doniek a vécu une descente aux enfers lorsqu’un historien a mis en cause son action. Qui a tort, qui a raison ?

Au carrefour des vies du Survivant, de l’Enfant et du Résistant, Eva se saisit de sa propre existence et se forge un destin choisi, dans l’amour des silences du passé.