De Bruxelles, Rose se rend à Tel-Aviv. Le pays est en deuil : celui des victimes du massacre du 7-Octobre, celui des otages séquestrés dans les tunnels de Gaza. Deuil d’une vision, d’un idéal également, pour Antoine qui a quitté la Belgique à vingt ans afin de vivre au kibboutz et devenir danseur. Rose et Antoine se retrouvent après s’être perdus de vue. Comment entamer un pas de deux alors que le monde vacille ?
Dans les neuf histoires de renaissances qui constituent ce recueil, des personnes ordinaires tentent de creuser une brèche face aux impasses de la vie. De Haïti aux dépotoirs d’une favela, elles n’en finissent pas de chercher, d’imaginer et d’espérer.
Evelyne Guzy a contribué à ce numéro consacré à la dépendance aux réseaux sociaux avec sa nouvelle « Je ne suis pas une pute à clic ». Extrait…
JE NE SUIS PAS UNE PUTE A CLIC
Tu as crié Non !
J’ai répondu, c’est comme tu veux, chacun est libre.
Et j’ai remis mon pantalon.
« Je ne suis pas une de tes putes à clic, tu m’as dit. Pas comme ces filles que tu reluques à longueur de journée ! Ces putes sur ton écran, ton écran total. »
Et j’ai bouclé ma ceinture.
Sans le vouloir, je me suis mis à fredonner :
Mon amour pour toi
Mon amour pour toi
Pour toi
Sur quel pied le danser ?
Les paroles de la chanson Écran total du groupe Feu! Chatterton me sont sorties de la tête, comme ça, subitement. Oui, sur quel pied danser, quand on veut juste le prendre, son pied, c’est la question que je pouvais légitimement me poser.
Tu m’as lancé ton regard furieux, ça m’a aidé à débander.
« Ton amour pour moi, tu m’as dit. De qui tu te moques ? Si tu pouvais, tu le baiserais ton écran ; le monde, tu ne le vois plus, et moi non plus. »
Dans le métavers, j’aurais pu, avec des lunettes spéciales, m’accoupler à mon écran, c’est vrai, virtuellement parlant. Mais le toucher, l’odorat, l’équipe de Meta n’y est pas encore vraiment arrivée… La meilleure solution, après toutes ces heures à m’échauffer sur la toile, restait de me satisfaire avec ma vraie femme. Toi, tu ne semblais pas de cet avis. Ton Non faisait écran total à mon désir, y compris en solitaire.
Lecture de la nouvelle « Rendez-moi ma licorne » parue dans la revue Marginales et présentation du recueil de nouvelles Belgiques. Ce qui reste quand on a tout oublié…
Recueil de nouvelles, Ker éditions. Parution : octobre 2023
Que reste-t-il quand on a tout oublié ? Les pavés de la mémoire qui racontent un ancien quartier juif ; les fresques Jean Delville qui éclairent d’un jour étrange un procès en cour d’Assises… autant de visages de la mémoire, au coeur des Belgiques d’Evelyne Guzy.
« Je ne suis pas le Petit Prince », éditions Les Oiseaux de nuit, Théâtre, 2022
Le début de « Je se suis pas le Petit Prince »
La salle de classe est propre et bien rangée, ici.
Chez moi, nous allions à l’école dans un container aménagé, tous les âges mélangés. La maîtresse portait un boubou couleur soleil et ses cheveux aux mille tresses illuminaient la leçon de calcul mental.
Parfois, je rêvais dans mon coin, en paix, si loin du quotidien, j’oubliais la faim. Mais, le plus souvent, la soif de savoir me tirait de ma torpeur, surtout lors du cours de géographie. Sur la grande carte affichée tant bien que mal aux parois de métal, je m’imaginais, tout petit, et ce vaste monde autour de moi, quelles promesses m’offrait-il ?
Je ne suis pas le Petit Prince, mais, comme lui, je viens d’Ailleurs.
« De quelle planète es-tu, m’aurait-il demandé ?
– Je viens de la planète Lumière. Là où le soleil me caresse toute la journée. Là où la terre, sèche et craquelée, me refuse ses fruits. Là où la guerre échauffe les esprits et tue les corps. Je viens de cette planète chérie, mais j’ai dû la quitter. Et maintenant je suis ici. »
Ici, en classe, avec toi, Maîtresse, qui raconte l’histoire de ce petit blanc bouclé. Il ne me ressemble pas, c’est sûr. Sauf qu’il aime le désert d’Afrique, comme moi. Sauf que, comme moi, il fréquente les serpents et cherche la vérité dans les étoiles. Le Petit Prince, ce n’est pas moi, mais il me parle pourtant, à travers toi. D’un monde de voyage et de tristesse. Celui de ma « petite vie mélancolique ». D’un univers de nostalgie. Celui du manque que je ressens lorsque je pense à Maman et au pays de Lumière.
Evelyne Guzy a contribué à ce numéro consacré au nationalisme et au populisme avec sa nouvelle Au pays de mon corps. Extrait…
AU PAYS DE MON CORPS
Mon corps est plongé dans la baignoire. C’est l’unique moment de répit qui m’est permis. Seule, une fois par mois, quand iels me considèrent comme impure, je peux fermer les yeux et méditer. Je peux sentir mes membres, mon ventre, mon sexe, mes seins. Ils m’appartiennent enfin. Eux qui servent à la jouissance des autres sans qu’ait le temps de surgir la mienne. Je ferme les yeux quand viennent les assauts. Ceux d’un viol sans violence, presque consentant. J’attends que me quittent ces corps étrangers qui pénètrent et usent le mien. Tu le dois à la Nation, m’ont-iels dit. A moi, et à toutes les Rousses du Peuple, un ou deux pour cent de la population, paraît-il, dont le gène MC1R a muté. Nous sommes précieuses, nous sommes des raretés.
Roux. La couleur des cheveux du roi David. Roux. La couleur des cheveux de Judas. Roux, la couleur du stigmate apposé durant des siècles à mon Peuple. Roux, ma couleur, celle des poils de mon sexe hérissés dans l’eau du bain. J’y glisse mes doigts agiles. Le plaisir solitaire, c’est la seule liberté qui me reste. Mais je ne parviens pas à me détendre. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Auparavant, au lendemain de nos règles, nous étions collectivement immergées dans de grandes bassines d’eau délicieusement tiède. Rires et Rousseur, caresses des retrouvailles. Les Peupliotes ont trouvé ça choquant : un bain rituel doit être un moment de recueillement. Et puis, toutes ces paroles échangées ne nous mèneraient-elles pas à la révolte ? Nous étions trop utiles pour être punies ou chassées. Trop précieuses et rares pour être gaspillées. Iels nous considèrent comme l’avenir de la Nation rousse, l’emblème de sa pureté.
La guerre par les armes est démodée et contreproductive, ont décrété les Peupliotes : quel gaspillage que tous ces gènes utiles à la perpétuation de la race rousse sacrifiés ! La bataille sera génétique, nous saurons nous reconnaître et nous unir une fois l’époque transitoire passée. L’heure rousse adviendra. « Certes, c’est un peu désagréable pour vous, les Rousses, concèdent les Peupliotes, mais une fois la machine de la sélection naturelle lancée et nos recherches sur le gène MC1R abouties, vos descendants continueront le travail. Cet élevage de Roux n’est qu’une mesure provisoire. » Nous sommes la génération sacrifiée, le gynécée vénéré.
Roman historique, secrets de fabrication, Chronique de Philippe Raxhon et interview d’Evelyne Guzy, Belgica n°2, mars 2022, PP. 122-126
« Chez Évelyne Guzy, le détail est fin et intelligemment déployé pour illustrer, dans le noble sens du terme, les vagues effrayantes de la grande histoire, cette mer déchaînée qui engloutit les générations et les pousse en avant, les pousse à survivre ou à disparaître. »
« Tout l’art de l’autrice est de tirer une force romanesque de cet inévitable constat historien. Les failles, les ombres, les lacunes de la reconstitution du passé, la poussière sur des archives qui redeviennent elles-mêmes poussière, non seulement consolident le fil narratif, mais alimentent le regard mélancolique de l’auteur, avec une forme de détachement singulier teintée d’ironie désabusée sur ses origines, l’ironie pour ne pas désespérer et rester sensible, à l’écoute de son identité, l’ironie pour ne pas continuer à être broyé par l’histoire génération après génération. C’est le grand mérite de l’autrice d’évoluer avec cette posture et d’en faire son miel. »
« Du 12 au 20 mars 2022, Rencontre des Auteurs célèbre la Francophonie avec une série de capsules d’auteurs francophones du bout du monde. Des auteurs (d)étonnants ! Un événement inscrit au programme officiel du Ministère de la Culture français et de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Direction Bruxelles, avec la journaliste et auteure belge Evelyne Guzy. Cette formidable jongleuse de mots raconte dans son dernier ouvrage – sous forme de roman – l’histoire de son grand-père et sa vie romancée dans la Lithuanie du siècle passé. Evelyne nous parle de sa passion de la langue francaise, de l’écriture et de la force de chaque mot employé. »
Rencontre : En quête de mémoire et d’identité – 11/05/21
Voir la rencontre.
Dans son roman, Évelyne Guzy enquête sur sa propre famille juive, mettant ses pas dans ceux de sa petite héroïne, Eva, qui entreprend de remonter les traces de ses origines. De son côté, Foulek Ringelheim raconte avec humour l’histoire émouvante d’un petit garçon tourmenté par sa judéité. Sam Touzani, lui, dialogue avec une jeune femme se revendiquant avant tout de sa religion. Tous trois tentent de démêler les fils de la construction de l’identité. Voilà un débat qui promet de mêler la rigueur de la réflexion à l’émotion du vécu et appelera, comme le dit Ghislain Cotton, « à la fraternité et à l’équivalence des humains ».
Participants
Evelyne Guzy, Sam Touzani et Julie Ringelheim, fille de Foulek Ringelheim
Organisateur
M.E.O. Editions, Renaissance du Livre et Genèse Edition
Modérateur
Françoise Nice
Dédicaces
Librairie Filigranes : 11/05/21 de 18 h à 20 h. Lecture d’un extrait par l’actrice Aurélie Vauthrin-Ledent.
Librairie Bleus d’encre : 15/05/21 de 16 h à 18 h.