En saignant. Aujourd’hui, ça dit bien son nom. Prof et fête. Aujourd’hui, un non-sens sans nom. Samuel, pourtant. Le prophète. Nom de Dieu, étymologiquement. Paty de patere, souffrir, subir. Dieu dont l’idée souffre en moi.
Samuel Paty. Paix à son âme. Pas à la nôtre. Sauvons la liberté.
Dans ce numéro de Marginales consacré à l’obsédante question, Evelyne Guzy nous plonge dans L’Ultime confinement. Cauchemard ?
L’ULTIME CONFINEMENT
Vous n’auriez jamais dû accepter. Et vous voilà, coincé dans cette pièce, quatre murs autour de vous, quatre murs qui vous enferment et pour seule compagnie ce palmier en plastique, parce que les plantes vertes, c’est bien connu, ça a besoin de lumière pour vivre. Vous aussi. Et pourtant quatre années que vous êtes ici, cloîtré, peut-être déjà mort ? Comment savoir ? Eux, ils savent.
Vous auriez dû vous révolter. Quand ils vous ont dit que pour protéger votre famille, vos amis, votre pays, le monde entier, ce n’était pas deux semaines mais bien plus que vous devriez rester. Combien ? Ils ne vous ont pas répondu. La recherche n’accepte pas la contrainte du temps : face à la première manifestation d’un virus, la vigilance doit être absolue. Et cette nouvelle souche, elle leur faisait peur, elle leur rappelait les Hantavirus découverts durant la Guerre de Corée ; plus de quinze qu’il avait fallu à la science avant de les caractériser. Et avec ce virus, le vôtre, la première étape même posait problème : la mise en culture. Comment dès lors préserver le monde de cette calamité, sinon en analysant, sans relâche, les gouttelettes de votre respiration extraites via un système sophistiqué de ventilation ? Peut-être qu’ainsi parviendraient-ils à développer la sérologie nécessaire à la création d’outils de détection, puis de traitement. Question de temps, seulement. La science vaincra les ténèbres, assurément. Ce serait bien, non, si un vaccin portait votre nom ?
Alors, avec cette affreuse manie de plier l’échine à chaque fois qu’on joue sur vos sentiments, votre sens des responsabilités – ou votre égo ? –, vous n’avez rien rétorqué, vous avez pris la tangente. Vous avez commencé à tracer avec vos ongles de petites barres sous la table, une par jour, jusqu’à aujourd’hui, quatre ans.
Vous auriez dû vous enfuir quand, après deux ans, trois ans, vous aviez compris que leur travaux piétinaient, que jamais ils n’identifieraient l’agent pathogène indispensable au diagnostic de la maladie. Qu’ils allaient vous garder là, juste pour prévenir la contamination – mais était-ce vraiment cela leur objectif ? – au risque de vous voir crever d’angoisse ou d’ennui. Principe de précaution. Mais alliez-vous crever ? Ils ne vous ont pas répondu, ils n’en savaient rien. Juste que vous restiez un porteur asymptomatique de l’ennemi, malgré ses mutations.
Vous auriez dû recracher. Recracher cette mixture infecte qu’ils vous donnaient trois fois par jour. Recracher ce goût de sel, ces relents chimiques de médicaments, les seuls susceptibles de vous tenir tant bien que mal en vie, si toutefois on pouvait décrire votre état ainsi. Recracher vos tripes si nécessaire. Vous auriez dû, certes, vous auriez dû.
Mais.
La force de l’inertie. Et cette forme de lâcheté qu’on appelle la raison. Et puis cette idée que ce n’était pas possible. Pas possible qu’un homme inflige cela pour rien à un autre homme. « Pour le bien de l’Humanité, vous ont-ils expliqué, pour vaincre la maladie, pour la science. » Mais comment y croire encore, sincèrement, après quatre ans ? Était-ce bien un virus qu’ils étaient en train de tester ?
Alors vous vous êtes dit « je ne suis plus moi ». Et une voix au fond de vous vous a provoqué : « Bouge-toi mon vieux, tu n’es pas une larve, nom de Dieu! » et vous avez regardé du côté de cette trappe qui s’ouvrait une fois par jour pour qu’on y fasse glisser votre portion, avec mille précautions, pour éviter l’infection, prétendaient-ils. Vous avez constaté : « c’est trop petit. » Et c’était vrai. Puis vous avez arraché un à un les haut-parleurs qui leur permettaient de vous manipuler. Et les micros aussi, qui maintenaient votre lien avec eux. Votre seul lien au monde, le monde de vivants, depuis que votre famille, vos amis, votre pays, le monde entier, vous avaient abandonné. Comme si vous étiez un criminel, un pestiféré, un danger pour l’Humanité.
Vous aviez gagné. Mais pas tout à fait, car ils ne pouvaient plus vous entendre. Vous avez crié : « Je suis un Homme. Un homme libre. » Et puis vous avez entendu une, deux, trois, cent, mille voix autour de vous. Celle de tous les confinés pour le bien de l’Humanité. A l’unisson, comme un seul être humain.
Oui, je suis un Homme libre. Tout simplement.
Evelyne Guzy
*
De Virus Illustribus (II), avec la participation d’Anatole Atlas, Jean-Pol Baras, Thilde Barboni, Jean-Marc Defays, Véronique De Keyser, Alain De Kuyssche, Renaud Denuit, Sara Dombret, Rose-Marie François, Sylvie Godefroid, Kenan Görgün, Laurent Grison, Evelyne Guzy, Anne-Michèle Hamesse, Henri de Meeûs, Philippe Remy-Wilkin, Marianne Sluszny et Monique Thomassettie.
L’Homme debout. Peinture murale, Bruxelles. (c) Bruce Clarke, 2019.
Le 4 novembre 2019, au Palais de Justice de Bruxelles, s’est ouvert le 5e procès d’Assises suite au génocide contre les Tutsis du Rwanda en avril 1994 ; en cent jours, un million d’individus ont été assassinés. Face à l’impunité et au négationnisme, les tribunaux jouent un rôle fondamental pour que la justice soit faite, la vérité établie et la mémoire ravivée. Lors de chacun des procès, des parties civiles – parents et proches de personnes assassinées – redonnent vie et parole aux victimes, conseillées par leurs avocats. Les rescapés font fréquemment l’objet de menaces, surtout lorsqu’ils dénoncent les méfaits de leurs tortionnaires. Ils n’ont pas toujours les moyens de faire face aux frais de justice. Ils ont besoin d’aide. C’est pourquoi s’est créé le Groupe de soutien aux Parties civiles.
Le Groupe de soutien aux Parties civiles tient ses sympathisants informés via une Page Facebook (@soutienpartiesciviles). Vous trouvez ici les Impressions de procès rédigées par Evelyne Guzy.
Tu es assise à côté de Jeanne, deux ans. Elle, sagement posée sur son petit siège en osier face à une pile de feuilles, un gros crayon en main, gribouille énergiquement, sans même regarder le résultat de ses efforts. Elle te fixe. « Tu veux que je te fasse un dessin ? » Elle opine. Et te voilà en train d’esquisser une voiture. Le contour, d’un seul gros trait. Puis les roues, pneus noirs bien arrondis. Un fard jaune, pour la nuit. Des fenêtres et des portes, pour qu’elle puisse pénétrer dans l’auto.
L’enfant pose un pied sur la table. Tu la regardes avec curiosité. Que veut-elle ? « Jeanne, voiture ! » As-tu bien compris ? La voilà maintenant qui monte sur sa chaise. « Jeanne, voiture ! » Oui, c’est bien ce que tu présentais. « Je vais poser ta voiture à terre, et nous allons grimper dedans. » Vous voilà donc assises toutes les deux sur la feuille de papier. Tu tiens le volant, elle aussi (puisque c’est toi qui a conçu la voiture, rien n’empêche deux volants). « Vroum, vroum… » Mais Jeannette n’est pas encore satisfaite. Il faut reprendre la feuille et essayer de la traverser, afin de s’asseoir sur le siège. Tu tentes une percée vers le fauteuil du salon. Elle n’est pas dupe. Tu t’installes avec elle sous la table de la salle à manger, vous regardez entre les pieds des chaises, comme par la fenêtre. Elle n’est guère plus satisfaite.
Retour vers le dessin. « On va mettre Jeanne dans la voiture. » Tu t’appliques, trop : le résultat n’est pas à la hauteur. « Madame », désigne l’enfant en pointant le profil sensé la représenter. Bon, tu traces sommairement un rond et quelques lignes hirsutes sur un crâne de fortune, surmontant un vague triangle pour le corps. « Jeanne est dans la voiture de la madame », conclus-tu.
Vivre debout, les yeux ouverts.
Épouser la nuance, accepter l’ambiguïté, sans tomber dans la confusion.
Sortir du carcan paralysant du déni et affronter, lucidement, la réalité.
Pleurer oui, mais sur les morts et non sur nous-mêmes.
Refuser d’être les prochains. Agir en citoyens.
2/6/15 : Michel Dufranne (dir.), Bruxelles Noir, Asphalte (collectif; nouvelles)… et aussi Edgar Kosma, Comment le chat de mon ex est devenu mon ex-chat, Onlit (roman).
19/5/15 : Daniel Simon, A côté du sentier, MEO (nouvelles).
5/5/15 : Martin Ryelandt, Le Cavalier, Maelström RéEvolution (roman).
Où il est question d’un père et de son fils qui aime les garçons, de bébés et de transmission, « Les Trois Fées », c’est le titre de la nouvelle d’Evelyne Guzy publiée dans « Paman, Mapa, l’espèce et moi » de Marginales.
Avec la participation de Frédéric Baal, Jean-Baptiste Baronian, Isabelle Bary, Jean-pierre Berkmans, Véronique Biefnot, Hermine Bokhost, Elise Buissière, François de Callataÿ, Bernard Dan, Alain Dartevelle, Alain De Kuyssche, Sossio Giametta, Marc Guiot, Evelyne Guzy, Corinne Hoex, Jack Keguenne, Jeannine Ma, Catherine Meeùs, Catherine d’Outrelemont, Françoise Pirart, Jean-Marc Rigaux, Liliane Schraûwen, Shéhérazade, Daniel Simon, Jehanne Sosson, Pascal Vrebos.
A l’occasion de la sortie du Martyr de l’Etoile d’Evelyne Guzy, la librairie Filigranes organise une présentation dédicace des ouvrages de la collection Romans de gare – Kill & Read. Quatre auteurs répondent au micro de Laurence Housiaux, directrice des éditions Luc Pire.
Jean-Baptiste Baronian pour Meurtre à Waterloo Evelyne Guzy pour Le martyr de l’Etoile Marc J. Hermant pour Les dépeceurs de Spa Anouchka Sikorsky pour Crime à Louvain-La-Neuve
A la librairie Filigranes – 40 avenue des Arts – 1040 Bruxelles
Où il est question de la crise financière et du festival d’Avignon, « Le Trésor », c’est le titre de la nouvelle d’Evelyne Guzy publiée dans « Dérèglements de compte » de Marginales.
Avec la participation de Anatole Atlas, Jean-Baptiste Baronian, Jean-Pierre Berkmans, Elise Bussière, Valérie Constant, Bernard Dan, Luc Delisse, Thomas Depryck, Emmanuel Donnet, Marc Guyot, Evelyne Guzy, Corinne Hoeckx, Jean Jauniaux, Claude Javaux, René Krémer, Jean-Louis Lippert, Marc Lobet, Richard Miller, Catherine d’Outrelemont, Jean-Marc Rigaux, Liliane Schraûwen, Daniel Simon, Lise Thiry, Monique Thomassettie, Bruno Wajkop, Yves Wellens.